DONNEZ L’ARGENT AUX CINEASTES QUEER ET PRECAIRES !

Ci-dessus: Sheila Jackson Lee qui défend The Watermelon Woman contre la parole de Peter Hoekstra devant le Congrès le 20.06.1996

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Dans l’article Le cinéma queer dans le monde arabe, Samar Habib trace en
pointillés une présence des identités queer dans les représentations.
[…] Depuis lors, les représentations sont passées du comique et du sous-texte au visible mais néanmoins pathologique, puis au visible mais conflictuel, et enfin au visible, résistant et défiant. Ce voyage n’est pas linéaire et n’est pas terminé.9
Samar Habib fait surement parti de celleux qui pensent qu’il n’y pas d’invisibilisation dans les archives, mais plutôt dans les récits, les grands récits des pensées dominantes.


Mais, des lacunes planent. Car les choses ne sont pas aussi limpides que
cela: les Télétubbies sont censurés en Pologne, Paradjanov a fait 15 ans
de prison- même si heureusement Sayat Nova n’a pas été détruit et Lady
Gaga a pu le réinventer- et puis les films ça coûte du pognon, et pour avoir le pognon, faut être financé. 10-11-12

La lacune, c’est qui peut faire des films?

C’est qui, non pas au sens de capacités intellectuelles, manuelles et inventionelles, c’est qui matériellement est dans la capacité de pouvoir réaliser un film?

Le film Rafiki a parcouru huit ans pour récolter l’argent nécessaire pour
être réalisé. Chercher des financeureuses, éplucher les refus -même des
associations défendants les droits de l’homme- à cause d’un sujet trop brûlant.13

Rafiki est un film sur une histoire d’amour, un couple lesbien qui subit une forte homophobie au Kenya.

Wanuri Kahiu a adapté Jambula Tree de Monica Arac de Nyeko.14

Quand l’homophobie est systémique, institutionnalisée, c’est toute la production qui risque la censure.

La production et la diffusion d’un film dépend du contexte politique et
économique du lieu où il est réalisé.

Rafiki est un film censuré dans son pays d’origine.

(******)

[00:00] (scène 1: festival de Cannes 2018, rencontre improvisée avec Wanuri Kahiu, un hors-champ, une discussion informelle)

Wanuri Kahiu marche, la boule au ventre. Arrivée par avion, elle marche
et piétine le tapis rouge.

(Changement d’objectif pour un 50 millimètre, ouverture du diaphragme.)

Wanuri marche à travers le flou.

Nous sommes en 2018, elle a pris l’avion pour venir présenter son film.
Ses pieds, le tapis rouge, elle piétine.
Rafiki est nominée pour la catégorie un certain regard.
Mes pieds frottent le tapis, le rouge, le velours. Un sol nettoyé chaque matin quand la salle dort encore.
Elle se place devant moi et me demande de s’adresser directement à la
caméra. Elle a préparé quelque chose.
Les spots flous encerclent sa silhouette.
Son regard est frontal, les yeux grands ouverts, pas une once de timidité
ou de doute.

Love is love, it shouldn’t be political.
Despite who you are, despite what
color you are, despite what gender
you are… Love is love.
[…]
But the reason that the film was
baned in Kenya was not only be-
cause of the love story but really, be-
cause the end of the story, it is hopeful. And, the classification board
didn’t feel that the hopeful story
about two girls in love wasn’t a story
they wanting kenyans to watch.
They wanted the film to be remorse-
ful at the end.
[…]
And the only reason that love be-
come political is when it’s mani-
pulated by the hands of others. And,
when they decide who you should
love and what you should love and
how you should do it. Then it beco-
mes political.
[…]
Because our right, our absolute
most basic right should be our right
to love, and our right to be able to
tell stories about love.15

[fin de séquence]

(******)

Le 11 mars 1997, Peter Hoekstra a prononcé devant le Congrès la réduction
des financements donnés annuellement par le pouvoir fédéral des Etats-Unis à la culture, à la NEA, la National Endowment for the Art, qui finance elle même l’association Women Makes Movies, l’aide financière majeure qu’a touché The Watermelon Woman, une organisation alors active depuis une dizaine d’année. Son but premier était de former un collectif de production féministe, qui s’est développé à partir des années 80 comme
distributeur de films indépendants réalisés par et sur des personnes assigné·e·s femmes. Peter Hoekstra nomme de façon explicite le film The
Watermelon Woman
comme étant un exemple de production audiovisuelle ayant reçu une aide à la production de la part de cette association et comme contenant des idées qu’il ne voudrait pas que sa propre famille voit. Cette accusation directe émerge d’une dizaine d’année d’accusations
émises par la montée de la présence conservatrice au Congrès, qui a mis
en accusation des productions artistiques contemporaines comme ayant
un contenu résolument obscène. En première ligne de ces accusations se
trouve Andres Serrano et son Piss Christ. La représentante Sheila Jackson
Lee à la défense aura eu beau rappeler l’importance d’un tel film pour la
communauté noire et lesbienne, et rappeler que l’art reste quelque chose
de subjectif dont il faut protéger la liberté d’expression. Sa parole ne sera pas suffisamment entendue et le budget sera amputé.16-17

Ci-dessus: Photogramme de The Watermelon Woman à 4’ 50

  1. HABIB Samar, Le cinéma queer dans le monde arabe, 2022 (article publié dans la revue d’exposition ayant eu lieu à l’Institut du Monde Arabe du 28/09/22 au 20/02/23: Habibi la révolution de l’amour, Snoeck Publishers (coll. Art contemporain), 2022
    [revue d’exposition découverte lors de la présentation des
    nouveautés à la bibliothèque au mois d’avril par Liz
    Escalle-Dyachenko]
  2. WOOD Anne et DAVENPORT Andrew, Les Télétubbies, 1997-2001
    [en aidant Jordan Roger en 2020 à la rédaction de son
    mémoire de DNESP Les Aliens sont des travelos, il me ra-
    contait l’histoire du scandale qu’a provoqué le personnage
    de Po en Pologne: son genre est montré du doigt comme
    «ambigüe».]
  3. PARADJANOV Sergueï, Sayat Nova, 1969
  4. Lady Gaga, 911, 2020
  5. KAHIU Wanuri, Rafiki, 2018
    [référence offerte par Eva Barois de Caevel]
  6. ARAC DE NYEKO Monica, Jambula Tree and other stories, New Internationalist Publications, 2008
  7. KONBINI, Le speech de Wanuri Kahiu, 2019 (vidéo consulté sur le site de Konbini le 25/04/23: https://www.konbini.com/videos/le-speech-de-wanurikahiu/)
  8. MAZUR Krystyna, The Watermelon Woman and the Black Queer Cinema
  9. House Session, Débat à l’assemblée sur The Watermelon Woman de Cheryl Dunye (vidéo consulté le 25/04/23: https://www.c-span.org/video/?c4722291/user-clip-house-debate-cheryl-dunyes-watermelon-woman )

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